Alexis ou le traité du vain combat, Marguerite Yourcenar

Cette lettre, mon amie, sera très longue. Je n’aime pas beaucoup écrire. J’ai lu souvent que les paroles trahissent la pensée, mais il me semble que les paroles écrites la trahissent encore davantage. Vous savez ce qui reste d’un texte après deux traductions successives. Et puis, je ne sais pas m’y prendre. Écrire est un choix perpétuel entre mille expressions, dont aucune ne me satisfait, dont aucune surtout ne me satisfait sans les autres. Je devrais pourtant savoir que la musique seule permet les enchaînements d’accords. Une lettre, même la plus longue, force à simplifier ce qui n’aurait pas dû l’être : on est toujours si peu clair dès qu’on essaie d’être complet ! Je voudrais faire ici un effort, non seulement de sincérité, mais aussi d’exactitude ; ces pages contiendront bien des ratures ; elles en contiennent déjà. Ce que je vous demande (la seule chose que je puisse vous demander encore) c’est de ne passer aucune de ces lignes qui m’auront tant coûté. S’il est difficile de vivre, il est bien plus malaisé d’expliquer sa vie. Je cessai de croire que la perfection se trouve de l’autre côté d’un serment. La sagesse, comme la vie, me parut faite de progrès continus, de recommencement, de patience. On dirige quelquefois ses actes ; on dirige moins ses pensées ; on ne dirige pas ses rêves.

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