La propriété était connue depuis longtemps dans le coin. Un immense terrain presque vide sur l’unique colline de la ville, avec pour seul ornement un arbre probablement centenaire, posé là au hasard, juste à l’entrée, à quelques mètres à peine d’un portail rouillé, barrant tant bien que mal l’accès à une baraque de poutres et de planches qui résistait, on ne sait comment, aux assauts du vent et de la pourriture.

Celle qui occupait les lieux avait vu naître tous les habitants du patelin mais aussi enterré la plupart de leur parents ainsi que son mari et deux de ses enfants. Les vieux du village aimaient à faire croire aux gamins du quartier voisin que c’était une sorcière pour éviter qu’ils ne s’approchent trop de sa propriété, principalement afin qu’ils ne se fassent pas mordre par les serpents qui traînaient dans les hautes herbes. Ainsi, quand Gretta descendait faire quelques courses, il n’était pas rare de voir des aventuriers en culotte courte lui filer le train à distance raisonnable, se défiant les uns les autres d’aller lui parler ou pire, la toucher.

Son propre fils, Samuel, ignorait son âge, et était le plus souvent beaucoup trop saoul pour se souvenir de son propre anniversaire. Il atteindrait pourtant bientôt les cinquante ans, si la cirrhose ne l’emportait pas avant. Mais Samuel avait d’autre problèmes à régler que son anniversaire. Il avait des dettes de jeu. Beaucoup trop pour marcher sereinement dans la rue sans vérifier que personne ne le suivait. Il vivait de ce qu’on voulait bien lui donner et se servait à sa guise quand la nécessité s’en faisait sentir, ce qui arrivait souvent. Gretta avait tenté de l’aider bien sûr mais son Sammy n’avait jamais su se montrer malin et encore moins reconnaissant. Elle avait fini par le chasser après la disparition inexpliquée des quelques rares objets de valeur du taudis.

Sous l’apenti d’une grange qu’il occupait clandestinement, Samuel faisait marcher, à grand peine, les rouages de son cerveau. Il mit dans l’ordre la situation.  Il devait une grosse somme à Kalvin, et il n’était pas exactement le genre de personne envers qui on devrait avoir une dette. Kalvin était un bon ami du maire, et de beaucoup trop de personnes influentes. Son alcool de contrebande gargarisait les gosiers de toute la ville et sa salle de jeu illégale, qui avait ouvert ses portes dans les marais il y a un mois à peine, était un secret de polichinelle. Ce casino était d’ailleurs le principal responsable de ses ennuis d’argent et les hommes de Kalvin lui avaient bien fait comprendre que s’il ne payait pas, sa santé risquait d’en pâtir.

La solution lui vint tard dans la nuit alors que la chaleur le maintenait éveillé. Le terrain de sa mère. Il devait valoir une fortune maintenant et plusieurs promoteurs s’étaient déjà montrés intéressés pour le racheter, mais la vieille ne voulait pas vendre. L’argent ne l’interessait pas et la propriété était dans la famille depuis, pour ainsi dire, l’aube de l’humanité. Il fallait qu’il trouve le moyen de la faire plier et de récupérer l’argent. Mais pour cette nuit il ne pouvait penser plus loin. Réfléchir l’épuisait.

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