Non loin des ruines de Dunhill, entouré de terres en jachère, se trouvait une ancienne fermette délabrée. La grange n’avait plus de toit depuis longtemps et, à part les rats, aucun animal ne traînait près des lieux. Presqu’aucun en vérité. Un corbeau étrange aux yeux pourpres et portant un collier orné d’un cristal rougeoyant vint pourtant se poser sur un arbre près du bâtiment principal. De son perchoir, il pouvait observer l’absence d’activité. L’air déçu, il fit un tour à basse altitude à la recherche d’un signe de vie. Il le trouva par le son étouffé d’un soupirail menant au sous-sol de la maison. Des incantations entrecoupées d’un rire dément et des objets fracassés se faisaient entendre. Le corbeau atterri à l’entrée du soupirail et tandis que son collier semblait prendre feu, à la manière dont un serpent mue, la carcasse du volatile s’ouvrit sur sa longueur et se décolla afin que l’être à l’intérieur puisse libérer une nouvelle créature: Un rat. Tout ceci se déroula dans un souffle, le temps qu’une allumette s’enflamme. La dépouille vide de corbeau se décomposa à vue d’oeil et le rat au collier rouge s’engouffra dans le tunnel.
Le soupirail était un vulgaire trou d’air qui donnait sur une grande pièce mansardée complètement surchargée par un capharnaüm au milieu duquel, affleurant le plafond, trônait une statue. Autour d’elle, des étagères et des bocaux contenant différentes substances, des animaux empaillés, des morceaux d’automates, des tubes de verre de différentes formes, pour la plupart sales, des engrenages et surtout, de la poussière, en grande quantité. L’immense statue était faite d’argile, elle représentait un colosse d’au moins 2m50, bâti comme un mur avec des bras aussi épais que ses cuisses. Sa tête semblait avoir été collée à même le buste sans prendre le temps de lui façonner un cou, son crane était chauve et plissé par un air agressif. C’était un troll d’argile. Tout autour de lui étaient disposés en cercle des cristaux violacés. Ils étaient tous cerclés de blanc et une ligne joignait chaque cercle. À des endroits stratégiques on pouvait déchiffrer différents glyphes obscurs, qui restaient indéchiffrable pour le commun des mortels. Parmis eux, un expert en magie aurait même reconnu certains dont l’utilisation avait été interdite par l’Empereur Pourpre lui-même.
Et devant tout ça, à genoux, Albert Underwood. Albert était, sans méchanceté, un vieux sorcier raté. Ses connaissances étaient profondes en matière de magie interdite mais sa pratique laissait franchement à désirer. À vrai dire, de mémoire d’homme, aucun de ses sortilèges n’avait réussi. Certains avaient vaguement ressemblé à ce qu’il voulait mais jamais de véritable succès à son actif. Albert était donc en train de préparer quelque chose. Un golem monstrueux qui lui obéirait à la moindre commande. Un golem qui forcerait les autres à ne plus se moquer ouvertement de lui. Tout était prêt ou presque, ne restait plus que les incantations. Il rassembla donc ses notes devant lui et relu consciencieusement chaque ligne. Pendant qu’Albert relisait, notre rat métamorphe s’affairait. Rien de bien méchant à vrai dire puisqu’il se contenta de déplacer du museau l’un des cristaux du cercle. Il emmena donc l’un d’eux un peu plus en arrière. Beaucoup plus en arrière pour être honnête. Il alla le glisser derrière un automate assez unique. L’automate de porcelaine aux traits féminins et fins était assise acollée à un sac d’orge pourrissant et incarnait une jeune fille d’environ 15 ans à une échelle plutôt réaliste, mais, elle était malheureusement incomplète. Son torse ouvert comme un placard laissait apparaître différents mécanismes et rouages. Ses bras étaient ornés comme de la vaisselle fine entre arabesques et fleurs de lys argents. De-ci de-là, des caches manquaient. Son visage était fin mais dépourvu de perruque. Deux sillons aux commissures de ses lèvres lui fendait la mâchoire pour l’articuler. Une oeil lui manquait et laissait un trou béant vers l’intérieur de son crâne. À l’intérieur luisait faiblement une lueur bleue claire signalant la présence d’un moteur d’énergie antique et, illégal. Par endroit, des craquelures serpentent comme des éclairs, signalant des zones fragilisées par le temps, près à voler en éclat au moindre choc. L’ensemble laissait pourtant transparaitre une beauté unique et dérangeante dont on ne savait si on souhaitait la voir s’animer ou la laisser reposer.
De son côté, notre rat alla s’enquérir d’un autre cristal derrière lequel il attendit que la cérémonie commença. Albert quant à lui, avait fini ses préparatifs. Du fond de sa poche ventrale, il tira une gourde collante qui contenait un alcool très sucré qu’il fabriquait lui même. Il vida le contenu de la gourde d’un trait et, contemplant son colosse, prit une grande inspiration et commença à psalmodier des paroles incompréhensibles.
Au début et pendant un long moment, rien ne se passa. Et pourtant, petit à petit, à mesure que le flot de paroles s’amplifiait, la pièce s’assombrie. Les différentes bougies et lanternes qui éclairaient la pièce étaient toujours là, mais leurs éclats étaient oppressés au plus proche de leurs sources. À un moment, la voix du sorcier s’éleva d’un ton, comme s’il s’adressait à une foule et, dans le même temps, des éclairs violacés fendaient la pièce mais tous contenus dans une sphère indéfinie délimité au sol par les cristaux.
C’est le moment que choisit le rongeur pour faire avancer son deuxième cristal vers le centre. Le cercle était brisé et ne formerait bientôt plus qu’un étrange haricot d’éclair. Albert criait maintenant et la fourdre traversait à la fois le golem et l’automate. Des bocaux autours se fendaient, d’autres objets se brisaient, des outils tombaient et au milieu, le rat poussait toujours son cristal. Le golem chancelait, la source d’energie dans la jeune fille de porcelaine brulait comme un feu de brousailles. Et soudain, le cristal du rat passa devant le golem, Albert était au bord de l’étouffement à force de s’époumoner et les éclairs se focalisèrent sur l’automate. À bout de souffle, le sorcier arrêta son incantation, et avec elle, les éclairs se turent. Un silence assourdissant régnait dans la pièce et sans prévenir un dernier éclair pourpre, épais et aveuglant vint frapper l’oeil vide de l’humanoïde. Le souffle de la foudre fini de faire vaciller l’amas d’argile et Albert, qui reprennait son souffle à genoux, ne vit jamais sa fin s’écrouler sur lui. Le tas de glaise s’abati dans un vacarme sourd sur son corps frèle et c’en fût terminé.
L’ironie voulu que son dernier sort fut lui aussi une demi réussite. Le golem ne suivrait jamais ses ordres pas plus qu’il ne prendrait vie. En revanche du fond de la pièce un cri cristalin, aigu au point qu’il brisa tout verre encore intact sur les étagères, retenti.
L’automate venait de se voir offrir un souffle de vie.

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