Ce soir, il y avait encore du sang dans le métro. Du sang frais. Pourtant je ne suis pas dans un quartier qui craint, pas plus qu’un quartier huppé. Je suis dans un quartier à l’image de ses immeubles, de ses salaires, de ses habitants et de leurs vies: moyen. Ma station est toujours dégueulasse. Peu importe la bonne volonté de ceux en charge de l’entretien, il y a dans celle-ci une crasse immuable, tatouée au plus profond des pierres et de la faïence, qui s’est imprégnée de crachat, de pisse, de sueurs, de moisissures et de vomis. Des journaux gratuits sont déchiquetés un peu partout, les poubelles débordent de bières, de résidus de junk food et de substances suspectes. Les tags, régulièrement recouverts avec une persévérance qui force mon admiration, fleurissent au petit bonheur aux côtés des gravures sur vitres vantant la présence « en force » d’autres quartiers ou d’un artiste urbain manifestement incompris. Il n’y pas de seringue et la plupart des mégots meurent à l’entrée de la bouche de métro, on est civilisé dans le coin.
Mais ce soir, comme souvent, il y a du sang par terre. L’endroit est désert, j’ai tout le loisir d’observer les quelques gouttes éparses qui cheminent d’un point anonyme au milieu de la station et qui courent vers l’escalator. Les néons froids n’empêchent pas le sang de ressortir éclatant sur le carrelage vert, et je pense à un pot de confiture de cassis qui aurait roulé sur le sol, ou encore une gamine espiègle, revenant de se goinfrer sur un buisson de mûres, dont les doigts dégoulineraient encore tandis qu’elle fuirait le lieux du crime, mais je sais que je suis loin de la réalité. Certaines traces ont déjà été foulées par des chaussures et se sont mêlées de poussières, « tachant » les taches d’une couleur nouvelle, étirant ce rouge Bigarreau en un dégradé sale troublé par des semelles inopportunes.
En suivant la route semée par ce Petit Poucet hémophile, je m’arrête au pied de l’escalator, les marches qui naissent à l’infini se succèdent, alternant chewing gum et papiers gras moulés dans les rainures d’acier et salissures. Le bourdonnement mystique de ce tapis roulant commence à m’endormir ou me faire basculer dans une transe hypnotique molle quand je vois enfin ce que je guettais là. Une marche se distingue des autres, et en lieu et place des quelques gouttes que j’attendais, une marre de sang poisseuse recouvre la moitié de la surface et vient couler le long de la contre marche sur l’étage inférieur qui retient entre ses sillons quelques millilitres de liquide vital. J’emboite le pas sur l’escalier mécanique, fasciné par la quantité de liquide chaud déversée sur le métal froid. L’aspect encore gluant me donne l’impression d’arriver à quelques secondes de l’évènement inconnu, jouant un rôle coincé entre le journaliste du macabre et l’officier collectant les preuves. Je suppose une bagarre violente, hypothétise un saignement de nez torrentiel, théorise une agression animale ou encore une chute ouvrant une blessure encore récente. Mon regard reste scotché sur cette marche tandis que mille scénarios s’entremêlent et quand ma tête est fauchée par le froid de la nuit, je réalise que j’arrive en haut, dans la réalité. Sous mes yeux résignés, l’oeuvre disparaît dans les rouages de l’escalator pour un nouveau cycle, comme un papier d’aluminium dans un broyeur de documents.
Dehors, trois traces et demi de pas ensanglantées s’en vont vers la rue, accompagnées d’autres traînées sombres. Elles se heurtent au trottoir et s’arrêtent là. Mon enquête s’évapore avec leurs disparitions. Les caméras du métro, elles, savent tout; mais restent muettes.

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